J’aimerais faire un film sur les anacondas verts. Ceux qui vivent au fond de la jungle et peuvent avaler des cervidés, des caïmans. Eunectes murinus.
Je partirais en hydravion avec un guide, une herpétologue, une chef opératrice et un preneur de son. Odeur d’essence sur la pirogue. Alcool frelaté, regard malveillants des piranhas.
Après des jours de machette, et des nuits dans les insectes, on trouverait le serpent enroulé autour d’une branche. Notre guide, dans un murmure, le nommerait Yacumama — la Mère de l’Eau.
Je serais terrifié.
Le lendemain, à l’aube, je me ferais avaler. Je resterais immobile pendant la déglutition. Comme mort. Enveloppé dans mon cocon de cire. Mon équipe filmerait, capturerait le son du repas. J’aurais moi-même une petite caméra sur le front.
Une fois à l’intérieur, j’allumerais une lampe torche puissante. Un halo verdâtre illuminerait la jungle et le visage horrifié du guide.
Puis j’éventrerais le serpent pour sortir. Cette saloperie. On découperait sa peau et je m’en ferais des bottes et un portefeuille pour ne pas gâcher.
À l’avant-première, au Sundance Film Festival, je porterais mes bottes. Des protecteurs des animaux crieraient au meurtre, me jetteraient de la peinture. Je ne répondrais rien. Le film serait excellent.
Les soirs, dans mon lit, des mauvais rêves m’attraperaient. Des cauchemars récurrents, horribles, malsains, pourris jusqu’à la moelle.
Le film m’apporterait la gloire. Plus qu’aucun des suivants. Plus qu’aucun de mes mauvais poèmes. Je ne réussirais jamais à faire aussi bien.